(Ceci est l'histoire de Salomé, sorcière de Sarnar et membre de la confrérie des Princes
de Sarnar, mon personnage dans le splendide Jeu de Role Online Massivement Multi-joueurs: Everquest)
"La première chose qu'on voit chez elle, ce sont ses yeux. Deux profonds abîmes de ténèbres
dans lesquels vous sentez vibrer toute la noirceur du monde. Cette femme n'est pas
humaine, je vous dis. C'est la fille du diable ! Elle a pactisé avec Innoruuk, père de la haine !
Seul le feu pourrait bouter le malin hors de ce corps de pécheresse.
Héhé, heureusement aujourd'hui elle va brûler, la sorcière ! " me susurra le brave aubergiste
du Chat qui fume.
Par la fenêtre, je distinguais au faît de la colinne, le large pilier de bois au pied duquel s'était
cristallisée toute l'agitation du village en cette froide matinée d'hiver. Le va-et-vient des villageois,
les cris des gosses, venaient démentir l'impression de torpeur qui m'avait saisi la veille au soir,
quand j'étais entré pour la première fois dans le village de Tingaroth. Chacun contribuait de son mieux à
ce qui serait sans doute la plus belle fête de la saison. Tandis que les adultes déchargeaient de
bonnes buches au pied du tronc, les plus jeunes savaient se rendre utile en jetant dessus toutes
sortes de brindilles qu'ils s'amusaient à récolter dans les bois tout proches. Il se dégageait une sorte
de religiosité apaisante de ce spectacle. L'harmonie avec laquelle tout le village communiait dans cette
joyeuse préparation, déposant chacun leur tribut de bois comme ils l'auraient fait pour une offrande au
temple, me faisait presque oublier le spectacle de mort qui s'augurait.
L'aubergiste me servit du vin, tout en continuant son terrible discours.
"Et croyez vous qu'elle se serait repentie, la garce, au seuil de son exécution ? Que nenni, monseigneur !
Les inquisiteurs n'avaient jamais vu ca encore. Alors qu'on lui montrait les fers rougeoyant, elle cracha sur l'un d'eux
et hurla le nom de son dieu maudit pour qu'il lui vienne en aide." (l'aubergiste se signa)
"Devant une telle engeance du mal, les pieux combattants ont justement décidé de la brûler vivante,
sans l'étrangler auparavant. Et l'un d'eux a ajouté qu'elle serait baillonnée pour l'empêcher de proférer
une dernière malédiction à la face du bon peuple avant que de périr.
D'une certaine facon cela me chagrine."
Je lui jetais un regard d'incomprehension.
Le gros homme leva les bras, faisant disparaitre un cou qu'il avait fort court et potelé.
"He oui, on ne l'entendra pas hurler !"
J'approuvais de la tête.
"Et comment l'a-t-on découverte ?" demandais-je entre deux morceaux de jambon.
L'aubergiste tira une chaise à lui et prit audacieusement place à ma table.
"Ca n'a pas été bien dur. Elle faisait commerce de ses potions maléfiques aux abords
du village. Je ne sais pas comment certains malheureux ici ont pu l'apprendre, mais elle
a vite trouvé des ames à pervertir. Des hommes. Ils ont succombé aux charmes de la diablesse."
Je m'etonnais: "Ils ne seront pas brûlés aussi ?"
"Oh, ils l'auraient été si la lumière de la raison n'etait venu à l'ultime instant éclairer leurs âmes
égarés. Ils se sont repentis devant les instruments des inquisiteurs."
J'adoptais un sourire de circonstance.
"Nous avons eu de la chance que les inquisiteurs s'arrêtent dans notre village. Ils étaient en partance
pour Queynos où une affaire sérieuse leur avait été signalée. En arrivant ici, ils
ont découvert la situation et ont pris les mesures qui s'imposaient."
Je frissonnais. Et pas a cause du froid. Je ne pouvais m'empêcher d'éprouver une certaine réticence
face à l'execution de cette femme que je ne connaissais pas.
"Elle a été arrété pour commerce de potion alors ?"
"Non, voyons ! Elle vénère Innorruk. Elle lui célèbre des messes. C'est pour cela qu'elle va être
brulée !"
"A-t-on des preuves de sa vénération ?"
Je sentis immédiatement que j'étais allé trop loin. L'aubergiste me jeta soudain un regard soupconneux
et distant. Je me flagella en pensée et me promettait a l'avenir de bien surveiller mes paroles si je ne voulais pas finir
comme cette sorcière. Après tout, rien ne me prouvait qu'elle ne vénérait pas le dieu de la haine.
Les inquisiteurs, aussi peu que je pusse les aimer, détruisaient avec efficacité et dévouement toute trace
du mal dans nos contrées. L'aubergiste me répondit finalement au bout d'un long moment de réflexion qui me sembla
dans mon angoisse une éternité :
"Des ingrédients maudits ont été retrouvés dans la cabane de fortune qu'elle s'était construite aux abords
du village. Mandragore, chats noirs, coqs noirs égorgés, pentacles et ... une main de pendu !" termina-t-il en
roulant des yeux.
Je me gardais bien cette fois de lui demander comment l'on savait que cette main avait appartenu à un pendu.
Je mordais dans mon jambon pour me donner une contenance.
"Ou est-elle en ce moment ?"
"Dans la maison du père Batisco. C'est la que les inquisiteurs l'ont interrogée. Elle y a passé la nuit. La
cellule de méditation du prêtre a été reconverti en lieu de détention pour l'occasion."
La présence de l'aubergiste sur sa chaise, qu'il rapprochait de moi à chaque confidence, commencait a me peser.
J'avais hate de mettre un terme a notre discussion.
"Et quand la brulera-t-on ?"
"En fin de matinée, que tout le village soit reveillé et le bûcher prêt. Si vous préférez vous retirer dans votre
chambre, je peux vous faire prévenir pour que vous ne ratiez rien."
Je remerciais le petit homme et lui annoncait que je preferai aller faire un tour dehors pour me raffraichir les
idées. Ce n'est pas de la discrimination raciale, mais la conversation de ce nain ne me revenait pas du tout.
Il était temps de s'en éloigner sous le pretexte futile d'aller voir le futur bûcher de plus près.
La foule hurla ses premiers cris de haine, et je sus que le moment etait arrivé. Juché sur mon destrier, je dominais
la foule bigarrée des villageois. A l'autre extrémité de la rue centrale de la bourgade, un chariot de paysan
reconverti pour l'occasion, bringueballant et cahotant, se frayait un chemin à travers la foule. Une maigre
silhouette en robe rouge y cherchait son équilibre. Même à cette distance, l'épaisse chevelure
noire de la sorcière marquait sa silhouette et lui donnait un air malefique. A moins que ce ne soit moi
qui me laissa emporter par l'hystérie collective.
Quand le cortège s'approcha, je pus voir à quoi elle ressemblait vraiment. Ce que j'avais pris pour une robe rouge
n'était plus qu'une loque déchirée de toute part, que même un gueux n'aurait pas pris pour se protéger du
froid. La où j'aurais dit qu'un tigre avait pu se faire les griffes, sa chaire noire etait affreusement mutilée par
les marques des fers et les impacts des pierres que la population lui lancait. J'étais stupéfait par son allure.
A moitié dénudée, les bras attachés par des chaines dans le dos, exposée comme la pire des criminelles,
elle gardait une fierté et une arrogance souveraine. Et malgré ses blessures et son jeune âge, elle était
d'une beauté troublante. Je m'étais attendu à la voir en pleurs je dois dire, mais je
m'étais complètement trompé. Une crinière ondulée, flamboyante malgré le sang qui la maculait par endroit,
lui coulait le long du dos. Et ses yeux étaient effectivement noirs comme la mort. L'aubergiste nain
ne m'avait pas menti sur ce point. On y lisait bien la haine que l'on s'apprêtait à chasser de ce corps. La violence
contenue se lisait dans ses traits, et j'aurais parié ma meilleure lame que si ce baillon lui avait été epargné,
elle aurait deversé sur nos têtes un flot de malédictions sanglantes. Elle n'essayait plus d'éviter les jets de
pierre. Ca n'aurait servi à rien de toute facon. Mais je dois dire que ceux qu'elle regardait n'oser plus en jeter.
Le chariot amorca sa montée. Au sommet de la colline son destin l'attendait mais je ne lus aucune peur
dans son regard. Elle s'était deja résignée à la mort, je pense. Peut-être la souhaitait-elle à présent.
Je suivis le cortège à cheval, dès que la foule fut passée. La population se dispersa naturellement de manière
à entourer le tronc erigé. Resté en contrebas, je suivais toujours avec attention les festivités. Un homme
en toge blanche s'approcha du tas de bois. Il leva les bras pour réclamer le silence. Pendant ce temps des
hommes en armes faisaient descendre la prisonnière et la conduisaient au bûcher.
J'etais sidéré par son calme. Elle ne se débattait même pas. C'était même l'inverse. Elle marchait soutenu
par les deux hommes, la tête baissée vers le sol. Lorsqu'elle
fut près du monceau de bois, un des deux hommes l'aggripa par les cheveux et lui tira la tête en arrière. Son regard
d'abord vitreux, elle sembla faire un effort pour accomoder l'édifice devant elle. Ses yeux roulèrent soudain d'effroi
dans leurs orbites et pris d'une angoisse galopante à la vue du prêtre en toge près du tronc, torche à la main, elle
posa ses pieds nus à plat sur le sol et rua de toutes ses forces entre les bras des gardes. Pris par surprise, ils
lachèrent prise. Elle en poussa un avec son corps, qui chuta entrainé par le poids de son armure et elle partit à toutes
jambes en direction de la foule, les mains encore liées par ses chaines .
Malgré la pente, son poids ne suffit pas, bien sûr, à fendre la masse des villageois
présents, qui la stoppèrent rudement. Se débattant avec l'énergie de la peur, poussant des cris de désespoir, elle
distribuait coups de pieds, de coudes et de tête pour passer. Mais les hommes autour d'elle lui rendait coup pour
coup et elle n'allat pas loin. Pourtant, dans le maëlstrom de corps et de coups, son baillon s'en retrouva arraché.
Elle fut repoussée violemment vers les gardes, mais d'avoir retrouvé la parole, elle en avait retrouvé son calme
et sa haine. Je crois que le choc de cette dernière rebellion troubla tout le monde au point que personne ne songea
à lui remettre son baillon. Conduite au pilori, on enroula une épaisse corde autour d'elle et du tronc qui en fit le tour
une bonne dizaine de fois. Elle scrutait la foule comme si elle voulait en retenir tous les visages. Les gens avaient
arreté de pousser des cris et un silence de mort régnait tandis que les gardes l'attachaient. Son souffle haletant
fendait l'air glacial d'une brume légère. Un corbeau croassa dans un arbre. Puis le pretre inquisiteur revint vers
elle et énonca les chefs d'accusation.
Hérésie, vénération du dieu Innorruk (que son nom soit maudit), corruption d'ames faibles, rites pervers, empoisonnement,
et d'autres encore dont je ne me souviens plus. Quand il eut fini, il lui demanda une dernière fois si elle adjurait sa
foi impie. Je la vis prendre son souffle pour crier bien fort sa réponse, les yeux luisants :
"Vous avez raison d'avoir peur. Pauvres pantins égarés. Assassins de bon aloi. Vos femelles sont fières de vous.
Elles embrasseront des tueurs ce soir. Tous ! Vous avez tous mangé dans ma main. Vous vous mordrez les
doigts de m'avoir reniée. Maudits ! Je vous maudis tous ! Vous et les enfants de vos enfants jusqu'à la cinquième génération !
Par le grand Innorruk, que vos vies s'eteignent sous les coups des suppots des ténèbres et que vos ames finissent
en enfer ! Anal Nassahr, Ursfas Bessed Torield Miëhnvé ! Anal Nassahr, Ursfas Bessed Torield Miëhnvé !
Anal Nassahr, Ursfas Bessed Torield Miëhnvé ! "
Quand elle commenca à invoquer, le ciel s'obscurcit brutalement, et la population se mit a hurler de terreur. Les mères
attrapèrent leurs petits contre elles et détalèrent. Les hommes, guère plus courageux, les suivirent à reculons, les
yeux fixés sur ces volutes noires qui l'entouraient, dessinant de complexes arabesques. Les inquisiteurs, enfin,
tentèrent de chanter des cantiques divins pour contrer le mal, mais ne semblaient pas obtenir le moindre succès
et quand les tourbillons de cendre eurent complètement englouti la sorcière, ils reculèrent enfin, et coururent vers
le temple de l'abbé Batisco pour prier leur dieu au secours. Quant à moi, j'étais redescendu à grand galop de la colline
pour trouver abri près de l'auberge. J'y entrais sans demander mon reste avec le cheval. Mais je ne pus
résister à l'envie pressante de risquer un oeil hors de l'écurie, une fois pied à terre.
C'est alors que j'aperçus au milieu du nuage noir, un grand éclat de lumière qui dissipait progressivement
les ténèbres. Le corbeau croassant que j'avais entendu tout à l'heure était posé devant le bûcher à présent
et la lumière semblait irradier de son corps. Le corps ligoté de la sorcière réapparut enfin. Les traits de
la fille était terrifiants. On aurait dit que toute énergie avait quitté son corps. De lourdes cernes et des joues creuses
remplacaient le beau visage rebelle qui m'avait fait douté. Le mal se lisait en elle.
Elle semblait bizarrement fixer un point au dessus de l'oiseau, mais c'est bien avec ce corbeau qu'elle
discutait, il n'y avait aucun doute. Car elle lui parlait !! Je pouvais en jurer.
"Calme toi, Salomé." lui dit le Corbeau d'une voix de femme, douce et apaisante. Je n'en croyais ni mes
yeux, ni mes oreilles. Je n'etais pas fou pourtant !
"Tu ne peux pas t'échapper, car tes cordes ne se dissiperont que dans les flammes du bûcher.
Cesse de t'agiter." reprit le Corbeau.
"Qui ? ... Qui êtes vous ?" balbutia la jeune femme, s'adressant à quelquechose au dessus
de l'oiseau. L'oiseau répondit pourtant.
"Qui je suis ou ce que je suis importe peu. Je suis venu pour toi, Salomé. Je peux sauver
ton âme, tant qu'il en est encore temps. Ou je peux te laisser mourir ici. C'est à toi de choisir."
"Vous... vous êtes une sorcière comme moi, n'est ce pas ?" lacha la fille. Je compris soudain que je devais être
seul à voir ce corbeau. Il devait avoir tout autre apparence et cette illusion n'etait destinée qu'à me tromper, moi
et les quelques villageois n'ayant pas détalé au loin. Je me rapprochais en rampant pour mieux entendre et
m'arretais derrière un buisson.
"Tu es vive d'esprit, jeune fille." L'oiseau dodelina alors de la tête puis l'observa avec détachement de la tête
aux pieds.
"Quel gachis ! Regarde toi."
"Libérez moi, qui que vous soyez. Vous ne le regretterez pas !" cria la fille.
Les yeux du corbeau s'embrasèrent d'une lumière rouge intense.
"Le mérites-tu, Salomé ?" tonna la voix en retour. "Sache que je suis un être de lumière et je n'ai pas de considération
pour les êtres qui se complaisent à propager le mal !
Oui, je peux te libérer. Je peux changer le cours de ton destin. Mais toi, quelle cause embrasseras-tu, une fois libre ? Je ne suis
pas dupe, Salomé. Je lis dans les coeurs. Engage toi à combattre le mal sur cette terre de toutes tes forces, sans répis
jusqu'à ton dernier souffle et tu auras la vie sauve !"
Le silence retomba. On entendait plus que le vent froid d'hiver qui m'avait tant glacé sur mon cheval en arrivant dans cette
vallée. La fille était plongée dans une abime de réflexion. Ou croyait-elle elle aussi avoir perdu la raison ?
"Je rêve" murmura-t-elle en secouant sa tête.
De mon buisson, je lui donnais raison. Ou bien elle était dans mon rêve, ou c'est moi qui devait être dans le
sien, mais tout ceci n'avait pas de sens.
"Décide toi Salomé. Vivre ou mourir, il te faut choisir..."
"Je veux vivre !" cria la fille sans réfléchir.
"Alors tu es libre." dit le corbeau et les cordes disparurent. La sorcière s'écroula à terre. Tombée face contre terre,
elle se releva lentement, épuisée, terrorisée, jetant des coups d'oeil hagards dans toutes les directions, comme s'attendant
à voir débarquer à nouveau les paysans en furie. Je m'écrasais au sol du mieux que je pouvais.
Quand elle se fut assurée que personne ne l'observait, elle dévala la pente à petites enjambées maladroites, du
mieux que ses jambes tuméfiées le lui permettaient. Le corbeau l'oeil sévère, ne bougea pas.
Mais elle s'arreta. Figée un moment, elle se retourna pour jeter un dernier regard à son sauveur et on lisait le
remords dans ses yeux noirs. On y lisait la peur aussi. Et les deux sentiments devaient lutter dans son esprit pour prendre
possession du corps. En fin de compte, elle revint sur ses pas et prononca quelques mots. D'abord hésitant, son discours
prit de l'assurance au fil des phrases:
"Je ne suis pas celle que vous croyez. Ne cherchez pas le bien en moi, je n'ai pas de morale.
Je n'ai pas la noblesse d'ame dont vous parlez et rien ne me pousse à aider les autres.
J'ai grandi seule et dans la suspicion. Fille de sorcière, vaguement rebouteuse, versée dans l'art d'user
des plantes, et sans mari, ma mère était l'objet de toutes les méfiances et tenue à l'écart de notre village. Je l'ai quitté
le jour où ils l'ont brulé. Vive. Elle ne leur avait rien fait. Je les ai triplement maudits ce jour-la. J'ai échappé
au massacre en partant très loin. Une bande de saltimbanques qui était de représentation ce jour-la dans la ville
annula son spectacle et s'appretait à repartir. Ils ne fait pas bon être bohémien les jours de bûcher. Je
les ai menacé de les dénoncer comme complice des pratiques de ma mère s'ils ne me prenaient pas avec eux. J'étais
trop jeune pour vivre seule, mais pas démunie. Ils ont cédé. Je suis resté de longues années avec eux, puis ils m'ont
abandonné, car je leur faisais peur. Mes rituels. Et puis toutes les messes noires.
Ils sont partis un soir que je m'étais fortement assoupie. Ils ont sans doute drogué mon verre ce soir-la.
Je ne suis pas une sainte. Pas même une ame charitable. Comment pourrais-je changer ?"
La voix du corbeau était redevenue douce et chaleureuse:
"Je sens le bien en toi, Salomé."
"Je vénére Innorruuk !" grogna la fille.
L'oiseau rit.
"Ce sont les gestes d'une enfant rebelle, sans aucune realité divine. T'a-t-il jamais parlé en rêve ? As-tu jamais
produit le moindre miracle en l'appelant à l'aide ?"
La fille se tortilla, génée.
"...non."
"Tu vois. Si tu suis la voie que j'ai tracé pour toi, tu acqueras la vraie puissance. Celle de la sorcellerie. Et non les
recettes grotesques de vieille femme que tu vends aux malheureux pour survivre ou les pseudos-pouvoirs que
te confereraient d'après toi les rituels dédiés à Innorruuk, et que tu imites vainement !
Quel est la chose que tu désires le plus au monde, Salomé ?"
La voix de la fille trancha l'air comme la plus fine des lames: "Le pouvoir."
"Alors prends ce livre"
La sorcière tendit les mains mais je ne vis rien dans ses mains, preuve que je ne me trompais pas sur l'illusion.
"Mais ... C'est un grimoire ?"
"Oui, Salomé. Un VRAI manuel de sorcellerie. Tu veux être respectée, alors donne t'en les moyens. Je ne te dirais plus
qu'une seule chose.
Tu t'es engagée dans la voie obscure par ignorance. Il est temps que tu debutes ta quête du savoir.
C'est Innorruuk et la haine qu'il inspire aux hommes qui t'as conduite sur ce bucher. Venge toi ! Le temps viendra où tu pourras
réussir l'impossible. Pourchasser le mal jusque dans son antre et le détruire. Détruire Innorruuk. Mais aujourd'hui
tu es seule, et sans aide tu n'y arrivera pas. Sur la couverture de ce livre, une pierre est incrustée, une pierre de grande valeur.
A partir de maintenant elle devient ton bien le plus précieux. Ne la perds jamais. Maintenant va ! Les villageois vont reprendre
courage et revenir, mon tour de magie ne les inquietera pas longtemps."
La fille détala sans même se retourner une fois. Le corbeau ne s'envola même pas. Au lieu de cela, il se dissipa
comme s'il n'avait été consituté que de brume. Quant à moi, je reste toujours interdit sur les évênements qu'il me
fut donné de voir cet hiver-la dans cette bourgade perdue de Tingaroth.
Le récit de cet évenement crucial dans la vie de Salomé était nécessaire pour la comprendre, elle
et son histoire. Laissez moi à présent vous parlez d'elle, de son caractère, dans des
circonstances moins extrêmes que celles qui vous furent narrées.
Salomé est née d'une mère sorcière de faible talent, vaguement rebouteuse, connaissant les bienfaits
et les méfaits des plantes. Son mari l'ayant abandonnée, sa mère l'éleva dans une relative haine
de la gente masculine. Elle grandit à l'écart des autres enfants, dans une maison hors du village dans la
nature, apprenant les plantes, de faibles tours de magie, des légendes et des rituels sombres. Très mystique,
la petite Salomé développa très tôt un appetit féroce pour les sciences occultes.
Son isolement et la mauvais réputation de sa mère faisaient peur aux gamins du village, qui fuyaient
en la voyant arriver. Elle grandit sans ami, et apprit à ne plus en souffrir. Elle devint
farouchement solitaire et individualiste. D'un caractère à relever tous les défis, elle ne s'écroula
pas quand sa mère fut arrêtée par les inquisiteurs et eut la force de fuir sans chercher à revoir sa
mère une dernière fois. Elle vécut longtemps avec une petite troupe de saltimbanques. La mort
de sa mère la précipita dans l'adoration du dieu Innorruk. Elle y chercha un moyen de se venger
du monde. Ses pratiques et les sombres cérémonies qu'elle menait dans les villages que la troupe
traversait inquiétaient ses compagnons et les habitants au plus haut point. Habituée depuis toute petite à éveiller
la peur ou la méfiance chez les gens, elle s'en accomoda par la ruse. N'ayant aucune morale, elle usait
de ses charmes et de ses connaissances mystiques pour vendre potions, onguents et poisons
à tout ceux qui osaient l'aborder. Elle liait les langues par la corruption des âmes. Ceux qui avaient
trafiqué avec elle ne pouvait plus lui nuire, au risque de finir comme elle sur un bûcher ou au bout d'une
corde.
Salomé est d'un naturel posé. Elle évite toujours de laisser exploser ses sentiments. Elle regarde le
monde et les gens avec un cynisme cruel, adorant lancer des remarques blessantes et bien pensées.
Etant souvent méprisée et haïe, elle en a pris l'habitude et les menaces ne la touchent guère, même si
elle sait toujours en apprécier le danger. De plus, l'angoisse de la mort ayant plané sur toute son
adolescence, elle a appris a vivre avec la peur, et parvient presque à s'en accomoder.
Elle est amorale et sans complexe, mais c'est souvent par jeu et par gout de la provocation. Malgré un
passé tumultueux et douleureux, elle ne s'apitoie pas sur son sort et n'a pas succombé a la haine
de l'humanité.
(Inspi: Je vous conseille la passionnante lecture du Livre des sorcières de Katherine Quenot
chez Albin Michel)